Réanimation - C Roy
REANIMATION I
A tout instant sur le point de quitter
mon corps je rentre et sors de
ce qui me sert de corps Salle des pas perdus
Mon incendie du côté gauche
me brûle tant je renonce je prends congé
Pourtant je reste sur le pas de la porte et me retourne
vers Loleh qui porte un masque aseptique
Mon coeur est le battant de la cloche
qui me rend sourd de nausée
Si on téléphone répondez pour moi
que je n'ai rien à répondre
que je n'y suis pour personne
et surtout pas pour moi-même
Est-ce que cela vaut la peine
d'insister? Mais ils m'ont amarré
avec des tubes à la rive
Faites ce que vous voulez de moi
Je suis la cloche et le battant
REANIMATION II
Dans un miroir embué terni de durée qui ne laisse émerger que des reflets brouillés
celui que je rencontre et qui me dévisage celui dont les mains collées au froid de la glace
sont le décalque un peu différent de mes mains à la rencontre de ses mains
Celui qui vient vers moi remonte du temps d'avant la parole et d'avant la clarté des désirs
il n'a pas d'âge et pas de date ni en amont ni en aval
ce n'est pas tout à fait un je et pas du tout un moi
mais dans la gelée vivante dans le tissu encore indifférencié
une vague et violente nébuleuse d'appels sans mots
qui pourraient se traduire si on avait la force par
"S'il vous plaît aidez-moi tenez-moi la main je pèse si peu que je ne sais pas où je vais
tous mes pas sont perdus j'habite un corps à claire-voie quand je crois me rencontrer c'est un autre qui prend ma place un autre qui ne sais plus parler qui ne sais plus ce qu'il a su
S'il te plaît donne-moi la main toi avec qui j'ai marché venant de loin
et empêche-moi de pleurer sinon je m'en irai de moi avec mes larmes
et il ne resterait qu'une vitre lavée d'eau
à travers laquelle il y aurait seulement la lumière blanche d'un matin couvert
une pelouse verte où courent deux merles noirs
et le souvenir d'un étonnement aujourd'hui éteint qui quelque temps porta mon nom
C. Roy, 1982, Permis de séjour, Folio