Lundi ordinaire
l’hôpital
impression de nuit permanente
comme si la lumière ne pouvait trouer les fenêtres
comme si les drames ne survenaient que dans la pénombre
le clair-obscur seul autoriserait le surgissement
je sais pourtant leur possibilité malgré la lumière et la chaleur
mais je suis toujours aussi surprise lorsqu’ils se produisent par une belle journée d’été
oublieuse que l’hiver ne leur est pas réservé
et que les suicides sont plus nombreux au printemps
je me refuse à imaginer la douleur de cet enfant dont le pied a été sectionné par une tondeuse à gazon
je me refuse à imaginer l’effroi de ses parents devant l’irréparable Faute
surgissant irrémédiablement dans leur regard vers ce membre amputé
l’enfant pourtant dit avoir mal
m’approcher de sa souffrance
je dois
moi
qui suis payée pour ça
supporter l’insupportable
une extrême fatigue dans la nuit
m’envahit brusquement
lorsque je remplie les papiers de décès
de cet homme de quarante huit ans
que je ne connais que depuis deux heures
et dont je ne sais rien
sinon son cœur
presque immobile à l’échographie
que je verrais lentement s’arrêter
passer du peu au rien
imperceptiblement
soubresauts sur l'écran
accompagnés de sang
jaillissant faiblement du cathéter
déjà plus tout à fait rouge
mais toujours aussi chaud
cette chaleur
perceptible à travers mes gants
s’écoulant de ce corps déjà froid
me surprend encore
Au matin
Sortir de l’hôpital
Comme d’un aquarium
Bouche ouverte
Avide de soleil
Le froid s’estompant peu à peu
Rester là
Immobile
Dans la lumière et la chaleur
La foule autour se presse
Mais je suis seule encore
Attendre
Sans but
Et dans cet arrêt
me sentir vivre
terriblement
Puis peu à peu
Avancer
En quelques pas
Réapprendre
l’autre vie
celle de l’extérieur
Remettre le masque
Reconnaître l’Autre
Et faire comme si je ne savais pas
l’extrême fragilité de l’Homme