A propos des Allemands - L'éclatante victoire de Sarrebrück - Rimbaud
"Oui, le peuple allemand paiera cher sa victoire. Les imbéciles! Derrière leurs aigres trompettes et leurs plats tambours, ils s'en retournent dans leur pays manger des saucisses, et ils croient que c'est fini. Mais attends un peu! Les voilà maintenant militarisés à outrance, et pour longtemps, et sous des maîtres bouffis d'orgueil, qui ne les lâcheront pas! Ils vont avaler toutes les saletés de la gloire. Obligés de se maintenir en face de l'Europe envieuse et inquiète, qui leur préparera des coups de Jarnac, ils en ont pour cinquante ans à être cravachés...Je vois d'ici l'administration de fer et de folie qui va encaserner la société allemande, la pensée allemande...Et tout cela, pour être écrasés à la fin par une coalition!...Si encore ils s'en tenaient à la ridicule satisfaction d'avoir été les plus forts! Mais non, ils nous prennent deux provinces: ils veulent étendre la teinte plate qui marque leur pays sur une carte...afin d'être bien sûrs qu'on reviendra un jour leur tomber dessus! Bismarck est plus idiot que Napoléon Ier!...
Napoléon n'a rien compris à la mission que lui assignaient les circonstances. Arrivé par la révolution, il l'a fait avorter stupidement. Au lieu d'organiser le communisme, - chose facile, puisque la propriété n'existait plus guère de fait, et plus du tout moralement et légalement - il a rebâti une société plus inique que l'ancienne. Un rôle colossal s'offrait à lui; il n'a pas voulu, il n'a pas vu, il n'a pensé qu'à rester, à se traîner si longtemps qu'il pouvait, - par des moyens surannés, enfantins: la conquête, la gloire, - à la tête de quelques centaines d'individus qui l'ont jeté dehors, comme un chien galeux, quand il n'a été plus bon à rien. En France, il a tout gâché: sens artistique, sens littéraire, l'administration, l'instruction publique, même le catholicisme. La centralisation, qui peut être une bonne chose, il l'a rendue stérilisante, néfaste. En Europe, avec toutes ses tueries, il n'a rien empêché, rien fixé, rien fait; mais il a donné aux ennemis de son pays une force qu'ils n'avaient jamais eue, sans compter la saignée de trois millions d'hommes dont il a appauvri la race française.
N'importe! Les Allemands nous sont inférieurs; car plus un peuple est vaniteux, plus il approche de la décadence. L'histoire le prouve. Du moment qu'une nation veut conquérir, sortir de chez elle pour en dominer d'autres, elle marche au suicide. Les Allemands nous sont inférieurs à cause de leur victoire qui les abrutit.
Notre chauvinisme a reçu un coup dont il ne se relèvera pas. Tant mieux! La défaite nous libère de préjugés stupides, la défaite nous transforme et nous sauve."
Rimbaud à E. Delahaye, 1871, in Oeuvres Complètes, ed. La Pleiade
Au milieu, l'Empereur, dans une apothéose
Bleue et jaune, s'en va, raide, sur son dada
Flamboyant ; très heureux, - car il voit tout en rose,
Féroce comme Zeus et doux comme un papa ;
En bas, les bons Pioupious qui faisaient la sieste
Près des tambours dorés et des rouges canons,
Se lèvent gentiment. Piton remet sa veste,
Et, tourné vers le Chef, s'étourdit de grands noms !
A droite, Dumanet, appuyé sur la crosse
De son chassepot, sent frémir sa nuque en brosse,
Et : " Vive l'Empereur ! ! " - Son voisin reste coi...
Un schako surgit, comme un soleil noir... - Au centre,
Boquillon rouge et bleu, très naïf, sur son ventre
Se dresse, et, - présentant ses derrières - : " De quoi ?... "
Rimbaud, 1970, in Oeuvres Complètes, ed. La Pleiade