Gacela de la muerte oscura - Frederico Garcia Lorca
Quiero dormir el sueño de las manzanas,
Alejarme del tumulto de los cementerios.
Quiero dormir el sueño de aquel niño
que quería cortarse el corazón en alta mar.
No quiero que me repitan que los muertos no pierden la sangre;
Que la boca podrida sigue pidiendo agua,
No quiero enterarme de los martirios que da la hierba,
Ni de la luna con boca de serpiente
que trabaja antes del amanecer.
Quiero dormir un rato,
Un rato, un minuto, un siglo;
Pero que todos sepan que no he muerto;
Que haya un establo de oro en mis labios;
Que soy un pequeño amigo del viento Oeste;
Que soy la sombra inmensa de mis lágrimas.
Cúbreme por la aurora con un velo,
porque me arrojará puñados de hormigas,
y moja con agua dura mis zapatos
para que resbale la pinza de su alacrán.
Porque quiero dormir el sueño de las manzanas
para aprender un llanto que me limpie de tierra;
porque quiero vivir con aquel niño oscuro
que quería cortarse el corazón en alta mar.
Frederico Garcia Lorca, in Anthologie bilingue de la poésie espagnole, La pléiade
Je veux dormir du sommeil des pommes,
Et m’éloigner du tumulte des cimetières.
Je veux dormir le sommeil de cet enfant
Qui voulait s’arracher le cœur en pleine mer.
Je ne veux pas que l’on me répète que les morts ne perdent pas de sang ;
Que la bouche pourrie demande encor de l’eau.
Je ne veux rien savoir des martyres que donne l’herbe,
Ni de la lune avec sa bouche de serpent
Qui travaille avant que l’aube naisse.
Je veux dormir un instant,
Un instant, une minute, un siècle ;
Mais tous sachent bien que je ne suis pas mort ;
Qu’il y a sur mes lèvres une étable d’or ;
Que je suis le petit ami du vent d’ouest ;
Que je suis l’ombre immense de mes larmes.
Couvre-moi d’un voile dans l’aurore,
Car elle me lancera des poignées de fourmis,
Et mouille d’une eau dure mes souliers
Afin que glisse la pince de son scorpion.
Car je veux dormir le sommeil des pommes
Pour apprendre un sanglot qui de la terre me nettoie ;
Car je veux vivre avec cet enfant obscur
Qui voulait s’arracher le cœur en pleine mer.
Traduction et notes de Nadine Ny
Composée en 1934, cette gacela a été publiée en février 1936, à Madrid, dans la revue Floresta de Prosa Y Verso, n°2.
Ce poème, chiffre et sceau de toute la poésie lorquienne, est la somme, épurée, stylisée, dense et fluide, d’un langage et d’un imaginaire structuré par les versants antagoniques de la vie et de la mort. Mais ici, c’est la mort elle-même qui subit un tragique dédoublement : la dissolution dans la grande matérialité liquide et maternelle de la mer y est infiniment désirée, le pourrissement dans le terre, les supplices de l’herbe dévorante, les fourmis et les scorpions, désespérément imminents, présents. Le silence compact de la pomme, rappelle deux vers saisissants de « L’enfant Stanton » de Poète à New York :
« Le vivissime cancer plein de nuages et de thermomètres,
Et son chaste désir d’être pomme pour que les rossignols le pique. »