Macbeth (1) - Shakespeare
MACBETH. - Parlez, si vous pouvez… Qui êtes-vous?
PREMIÈRE SORCIÈRE. - Salut, Macbeth! salut à toi, thane de Glamis!
DEUXIÈME SORCIÈRE. - Salut, Macbeth! salut à toi, thane de Cawdor!
TROISIÈME SORCIÈRE. - Salut, Macbeth, qui plus tard seras roi!
BANQUO.- Mon bon seigneur, pourquoi tressaillez-vous, et semblez-vous craindre des choses qui sonnent si bien?
Aux sorcières
Au nom de la vérité, êtes-vous fantastiques, ou êtes-vous vraiment ce qu’extérieurement vous paraissez? Vous saluez mon noble compagnon de ses titres présents et de la haute prédiction d’une noble fortune et d’un avenir royal, si bien qu’il en semble ravi. A moi, vous ne parlez pas. Si vous pouvez voir dans les germes du temps, et dire quelle graine grandira et quelle ne grandira pas, parlez-moi donc, à moi qui n’implore et ne redoute ni vos faveurs ni votre haine.
PREMIÈRE SORCIÈRE. - Salut!
DEUXIÈME SORCIÈRE. - Salut!
TROISIÈME SORCIÈRE. - Salut!
PREMIÈRE SORCIÈRE. - Moindre que Macbeth, et plus grand !
DEUXIÈME SORCIÈRE. – Pas si heureux, pourtant bien plus heureux.
TROISIÈME SORCIÈRE. - Tu engendreras des rois, sans être roi toi même.
PREMIÈRE SORCIÈRE. – Banquo et Macbeth, salut!
MACBETH. - Demeurez, oracles imparfaits ! dites-m'en davantage. Par la mort de Sinel, je le sais, je suis thane de Glamis; mais comment de Cawdor ? Le thane de Cawdor vit, gentilhomme prospère… Et être roi, cela n'est pas dans la perspective de ma croyance pas plus que d'être thane de Cawdor. Dites de qui vous tenez cet étrange renseignement, ou pourquoi sur cette bruyère désolée vous barrez notre chemin de ces prophétiques saluts. Parlez ! je vous l'ordonne.
BANQUO.- La terre a, comme l'eau, des bulles d'air, et celles-ci en sont: où se sont-elles évanouies ?
MACBETH. - Dans l'air, et ce qui semblait avoir un corps s'est fondu comme un souffle dans le vent... Que ne sont-elles restées !
BANQUO. - Les êtres dont nous parlons étaient-ils ici vraiment ? ou avons-nous mangé de cette folle racine qui fait la raison prisonnière ?
MACBETH. - Vos enfants seront rois !
BANQUO. - Vous serez roi !
MACBETH. - Et thane de Cawdor aussi ! Ne l'ont-elles pas dit ?
BANQUO. – Tels étaient l’air et les paroles... Qui va là ?
Entrent Ross et Angus.
ROSSE. - Le roi a reçu avec bonheur, Macbeth, la nouvelle de ton succès: et, en apprenant comment tu risquas ta vie dans le combat contre les révoltés, son admiration et son enthousiasme luttent à qui s’exprimera le premier. Interdit par tous les exploits que tu accomplis dans la même journée, il te trouve dans les rangs des Norvégiens intrépides, impassible devant toutes ces images de mort que ta dague semait. Avec la rapidité de la parole, les courriers succédaient aux courriers, et chacun d'eux rapportait tes prouesses dans cette grandiose défense de son royaume, et les versait à ses pieds.
ANGUS. - Nous sommes envoyés pour te transmettre les remerciements de notre royal maître: chargés seulement de t'introduire en sa présence, et non de te récompenser.
ROSSE. - Et, en gage d'un plus grand honneur, il m'a dit de t'appeler, de sa part, thane de Cawdor. Salut donc, digne thane, sous ce titre nouveau, car il est le tien désormais!
BANQUO, à part. - Quoi donc ! le diable peut-il dire vrai ?
MACBETH. - Le thane de Cawdor vit; pourquoi me revêtez-vous de manteaux empruntés ?
ANGUS. - Celui qui était thane de Cawdor vit encore; mais un lourd jugement pèse sur sa vie, qu'il a mérité de perdre. Était-il ouvertement ligué avec ceux de Norvège ? ou a-t-il appuyé le rebelle par des secours et des subsides cachés ? ou bien a-t-il travaillé par une double complicité à la perte de son pays ? Je ne sais pas; mais le crime de haute trahison prouvé et avoué a causé sa chute.
MACBETH, à part. - Glamis, et thane de Cawdor ! Le plus grand est encore à venir !
Haut, à Angus.
Merci pour votre peine !
Bas, à Banquo.
N'espérez-vous pas que vos enfants seront rois, puisque celles qui m'ont donné le titre de Cawdor ne leur ont pas promis moins qu'un trône ?
BANQUO, bas, à Macbeth.- Une conviction trop absolue pourrait bien vous faire désirer ardemment la couronne au-dessus du titre de Cawdor. Mais c'est étrange. Souvent, pour nous attirer à notre perte, les instruments des ténèbres nous disent des vérités; ils nous séduisent par d'innocentes bagatelles, pour nous pousser en traîtres aux conséquences les plus profondes.
A Ross et à Angus.
Cousins, un mot, je vous prie!
MACBETH, à part. - Deux vérités ont été dites, heureux prologues à ce drame gros d'un dénouement impérial dont le thème est la royauté.
A Ross et à Angus.
Merci, messieurs!
A part.
Cette sollicitation surnaturelle ne peut être mauvaise, ne peut être bonne... Si elle est mauvaise, pourquoi m'a-t-elle donné un gage de succès en commençant par une vérité? Je suis thane de Cawdor... Si elle est bonne, pourquoi cédé-je à une suggestion dont l'épouvantable image fait que mes cheveux se dressent et que mon cœur si ferme se heurte à mes côtes, contrairement aux lois de la nature? L'inquiétude que j'éprouve n'est rien à côté des horreurs que je ressens. Ma pensée, où le meurtre n'est encore qu'imaginaire, ébranle à ce point ma faible nature d'homme, que ses fonctions sont paralysées par une conjecture; et rien n'est pour moi ce qui n'est pas.
Shakespeare, Macbeth, traduction de FV. Hugo