Vierge Folle, L'époux infernal - Rimbaud

Publié le par sophie

 
Écoutons la confession d'un compagnon d'enfer :
     "Ô divin Époux, mon Seigneur, ne refusez pas la confession de la plus triste de vos servantes. Je suis perdue. Je suis soûle. Je suis impure. Quelle vie !
     "Pardon, divin Seigneur, pardon ! Ah ! pardon ! Que de larmes ! Et que de larmes encore plus tard, j'espère !
     "Plus tard, je connaîtrai le divin Époux ! Je suis née soumise à Lui. − L'autre peut me battre maintenant !
     "A présent, je suis au fond du monde ! O mes amies !... non, pas mes amies... Jamais délires ni tortures semblables... Est-ce bête !
     "Ah ! je souffre, je crie. Je souffre vraiment. Tout pourtant m'est permis, chargée du mépris des plus méprisables cœurs.
     "Enfin, faisons cette confidence, quitte à la répéter vingt autres fois, − aussi morne, aussi insignifiante !
     "Je suis esclave de l'Époux infernal, celui qui a perdu les vierges folles. C'est bien ce démon-là. Ce n'est pas un spectre, ce n'est pas un fantôme. Mais moi qui ai perdu la sagesse, qui suis damnée et morte au monde, − on ne me tuera pas ! − Comment vous le décrire ! Je ne sais même plus parler. Je suis en deuil, je pleure, j'ai peur. Un peu de fraîcheur, Seigneur, si vous voulez, si vous voulez bien !
     " Je suis veuve... − J'étais veuve...  − mais oui, j'ai été bien sérieuse jadis, et je ne suis pas née pour devenir squelette !... − Lui était presque un enfant... Ses délicatesses mystérieuses m'avaient séduite. J'ai oublié tout mon devoir humain pour le suivre. Quelle vie ! La vraie vie est absente. Nous ne sommes pas au monde. Je vais où il va, il le faut. Et souvent il s'emporte contre moi, moi, la pauvre âme. Le Démon ! − C'est un Démon, vous savez, ce n'est pas un homme.
     " Il dit: " Je n'aime pas les femmes. L'amour est à réinventer, on le sait. Elles ne peuvent plus que vouloir une position assurée. La position gagnée, coeur et beauté sont mis de côté: il ne reste plus que froid dédain, l'aliment du mariage, aujourd'hui. Ou bien je vois des femmes, avec des signes du bonheur, dont, moi, j'aurais pu faire de bonnes camarades, dévorées tout d'abord par des brutes sensibles comme des bûchers..."

A. Rimbaud, Délires I, in Une saison en Enfer



Publié dans P. XIXè - Rimbaud

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