Vous qui savez - C. Delbo
Ô vous qui savez
saviez vous que la faim fait briller les yeux
et que la soif les ternit
Ô vous qui savez
saviez vous qu'on peut voir sa mère morte
et rester sans larmes
Ô vous qui savez
saviez vous que le matin on veut mourir
et que le soir on a peur
Ô vous qui savez
saviez vous qu'un jour est plus qu'une année
une minute plus qu'une vie
Ô vous qui savez
saviez vous que les jambes sont plus vulnérables que les yeux
les nerfs plus durs que les os
le cœur plus solide que l'acier
Saviez vous que les pierres du chemin ne pleurent pas
qu'il n'y a qu'un mot pour l'épouvante
qu'un mot pour l'angoisse
Saviez que la souffrance n'a pas de limite
l'horreur pas de frontières
Le saviez vous
Vous qui savez
Charlotte Delbo, in. Aucun de nous ne reviendra, Editions Gonthier, 1965