Ombre - Wieslawa Szymborska
Mon ombre est pareille au fou de la reine.
Quand de son siège elle se lève tout d'un coup,
Contre le mur vient se dresser le fou
Qui heurte le plafond de sa stupide tête.
Cela doit faire mal, d'une façon certaine
Dans un univers à deux dimensions. Peut-
Etre le fou sent-il à ma cour quelque gêne
Et il préfèrerait autre rôle dans mon jeu.
Et lorsque à la fenêtre la reine se penche,
Lui, le fou, au dehors saute volontiers.
Ainsi chaque action se partage et se tranche
Mais cela n'est jamais moitié, moitié.
Le voilà le goujat, qui dérobe les gestes,
La passion, l'impudent, le voilà, déloyal
Qui de tout mon pouvoir à la fin me déleste
- Ma couronne, mon sceptre et mon manteau royal.
Au mouvement des bras, je serai, oh, légère,
Oh, légère au penchant de la tête inclinée,
Oh roi, quand à la gare du chemin de fer
L'heure de nos adieux, mon roi, aura sonné.
O roi, c'est le fou, à ce moment-là,
Sur les rails, O roi, qui se couchera.
Wislawa Szymborska, Prix Nobel de Littérature 1996
Ombre in Sel (1962), traduit par C. Dobzynski dans Action Poétique n°61, 1975