Les amis inconnus - Supervielle

Publié le par sophie

Tous les derniers mardis de chaque mois les Franciscains de toulouse se réunissent Place du Capitole pour une prière silencieuse en hommage aux "Sans-Papiers" du centre de rétention de Cornebarieu. Ils s'insurgent contre le traitement qui leur est infligés et leur stigmatisation comme ennemi sous prétexte qu'ils sont des étrangers. Leur lutte m'a rappelé un passage de l'évangile de Saint Marc:
31
 Alors arrivent sa mère et ses frères. Restant au-dehors, ils le font demander. 32 Beaucoup de gens étaient assis autour de lui ; et on lui dit : « Ta mère et tes frères sont là dehors, qui te cherchent. » 33 Mais il leur répond : « Qui est ma mère ? qui sont mes frères ? » 34 Et parcourant du regard ceux qui étaient assis en cercle autour de lui, il dit : « Voici ma mère et mes frères. 35 Celui qui fait la volonté de Dieu, celui-là est mon frère, ma soeur, ma mère. »
En d'autre terme, ce passage incite les chrétiens  à dépasser les frontières de la famille de sang pour former une nouvelle famille spirituelle fondée sur l'ouverture à l'autre.
Il n'est pas alors étonnant que ce merveilleux poème de Supervielle soit l'étendard de cet ordre:




Il vous naît un poisson qui se met à tourner
Tout de suite au plus noir d'une lame profonde,
Il vous naît une étoile au-dessus de la tête.
Elle voudrait chanter mais ne peut faire mieux
Que ses sœurs de la nuit, les étoiles muettes.


Il vous naît un oiseau dans la force de l'âge
En plein vol, et cachant votre histoire en son cœur
Puisqu'il n'a que son cri d'oiseau pour la montrer.
Il vole sur les bois, se choisit une branche
Et s'y pose, on dirait qu'elle est comme les autres.


Où courent-ils ainsi ces lièvres, ces belettes,
Il n'est pas de chasseur encore dans la contrée,
Et quelle peur les hante et les fait se hâter,
L'écureuil qui devient feuille et bois dans sa fuite,
La biche et le chevreuil soudain déconcertés ?


Il vous naît un ami et voilà qu'il vous cherche
Il ne connaîtra pas votre nom ni vos yeux
Mais il faudra qu'il soit touché comme les autres
Et loge dans son cœur d'étranges battements
Qui lui viennent des jours qu'il n'aura pas vécus.


Et vous, que faites-vous, ô visage troublé,
Par ces brusques passants, ces bêtes, ces oiseaux,
Vous qui vous demandez, vous, toujours sans nouvelles,
Si je croise jamais un des amis lointains
Au mal que je lui fis, vais-je le reconnaître ?


Pardon pour vous, pardon pour eux, pour le silence
Et les mots inconsidérés,
Pour les phrases venant de lèvres inconnues
Qui vous touchent de loin comme balles perdues,
Et pardon pour les fronts qui semblent oublieux.

Jules Supervielle, in Le forçat innocent, Gallimard

Publié dans Poésie XXème

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