Ulysse - Cesare Pavese
Ce vieil homme est déçu car son fils, il l'a eu
bien trop tard. Leurs yeux parfois s'affrontent,
mais avant il suffisait d'une gifle. (Le vieux sort
et rentre avec son fils qui se frotte la joue
les yeux rivés à terre.) Maintenant le vieil homme
est assis jusqu'au soir devant une fenêtre,
mais personne ne passe et la rue est déserte.
L'enfant s'est enfui ce matin: il reviendra
ce soir. Il est sans doute en train de ricaner.
Il ne voudra pas dire s'il a eu à dîner. Peut-être
qu'il aura des yeux lourds et qu'il se couchera en silence:
deux godasses crottées. Le matin était bleu
après les pluies d'un mois.
Par la fraîche fenêtre
une senteur amère de feuilles se répand. Mais le vieux
reste immobile dans le noir, il ne dort pas la nuit,
mais il voudrait dormir et pouvoir oublier
comme avant au retour de longues randonnées.
Jadis, pour s'échauffer, il criait et cogner.
L'enfant, qui reviendra bientôt, ne reçoit plus de gifles.
Il commence à être jeune et découvre chaque jour
une chose nouvelle et ne parle à personne.
Il n'est rien dans la rue qu'on ne puisse savoir
depuis cette fenêtre. Mais toute la journée,
l'enfant marche dans la rue. Il ne court pas les filles
mais ne joue plus par terre. Chaque fois il revient.
L'enfant a sa manière de quitter la maison
si bien que ceux qui restent se sentent inutiles.
Cesare Pavese, in Travailler fatigue - La mort viendra et elle aura tes yeux, ed Gallimard