Du sang dans la sciure - Sunset and sawdust - Joe R. Lansdale

Publié le par sophie

L’après-midi où il plut des grenouilles, des perches et des vairons, Sunset découvrit qu’elle pouvait se prendre une raclée digne de celle de Jack Trois-Doigts. Mais si Jack avait eu droit à la sienne en plein soleil, pou elle, cela se passa dans sa propre maison pendant un cyclone, alors que les fenêtres tremblaient, que le toit se soulevait et que le plancher en bois avait la froideur de la pierre.

            Elle  était allongée sur le dos, vêtue seulement de la moitié supérieure de sa robe, vu que le reste avait été arraché quand Pete, tout en la cognant, avait marché dessus ; cette foutue robe, aussi pourrie que la politique, s’était déchirée et ne lui avait plus couvert que le torse.

            Il lui passa par la tête qu’il ne lui en restait plus désormais que deux, et ça ne lui plaisait pas du tout de perdre celle-ci, parce qu’elle avait beau être usée, son motif floral lui plaisait et ses taches se fondaient bien dans ses couleurs.

            Mais ce fut une pensée fugitive. Elle cherchait surtout un moyen d’échapper à la bastonnade. Elle levait les mains pour se protéger, mais les coups de Pete les repoussaient et, en rebondissant contre son visage, elles faisaient presque autant de dégâts que les poings de son homme.

            Finalement, il la cloua  au sol, s’écrasa sur elle, lui écarta les jambes et s’attaqua au reste de ses vêtements.

            Quand le haut de la robe céda et qu’il dégagea un côté de son soutien-gorge, il grommela :

-       Ca, c’est du nichon !

Il avait du mal à articuler et son haleine empestait l’alcool.

Il arracha son slip. Il détacha l’étui de son revolver et le balança à côté de lui. Tandis qu’il était sur elle à batailler avec sa fermeture éclair dans l’intention de faire entrer sa mule dans la grange, Sunset tendit la main et sortit le .38 de son holster. Tout à son excitation, Pete ne se rendit pas compte qu’elle le posait contre sa tête.

Elle lui en colla une dans la tempe.

Quand elle pressa la détente, la détonation fut si forte  qu’elle eut l’impression d’être propulsée jusqu’au ciel par l’ange Gabriel en personne, sauf que ce fut Pete qui y monta. Ou, en tout cas, qui y alla. Plus tard, Sunset s’imagina avec délectation qu’il avait eu droit à une chouette place en Enfer, juste à côté du grand four.

Mais là, le coup de feu lui fit pousser un hurlement – un cri aigu et perçant comme si c’était elle qui avait reçu cette balle, ou une claque sur les fesses à l’instant de sa naissance.

Pete s’affaissa – et pas seulement l’organe qu’il avait eu l’intention d’utiliser, mais tout le corps. Il ne prononça pas un mot. Ni « Ouille ! », ni « Oh merde ! », ni « C’est dingue ! », le genre de truc qu’il aimait dire en temps normal dans les moments de surprise ou de stress.

Non, il se contenta d’encaisser la décharge brûlante,  de lâcher un pet presque aussi sonore que la détonation du .38, et de s’en aller sur le cheval noir de la Mort.

Et comme si cela ne suffisait pas que Sunset perde sa robe, ses sous-vêtements et sa dignité, toutes les fenêtres du côté est  de la maison commencèrent à trembler comme les chaines de Marley avant d’exploser. La porte aussi vola en éclats comme si elle n’avait jamais été qu’un puzzle aux pièces vaguement emboîtée, et la tornade emporta le toit.

Sunset resta immobile un instant, allongée sur le dos, des fragments de vêtements accrochés à elles, ses vielles chaussures à talons plats toujours aux pieds, un morceau de vitre planté sur l’épaule, et Pete écroulé lourdement sur elle. Elle n’avait pas lâché le revolver. Le projectile avait fait un petit trou en entrant et n’était pas ressorti par un second, plus gros, comme elle s’y attendait. La cartouche devait être défectueuse ; la balle avait juste rebondi dans son cerveau, le transformant en marmelade. Du sang coulait sur elle du crâne et du nez de Pete.

Elle fit rouler le cadavre de Pete sur le côté et le considéra. Pas d’erreur, il ne s’en remettrait pas.

-       Je t’ai fait une surprise, non ? s’exclama-t-elle.

Elle étudia Pete un long moment, puis elle se mit à hurler comme si elle était soudain possédée par une banshee. Pourtant, on ne l’aurait même pas entendue de la pièce à côté. Son hurlement était puissant, mais l’ouragan était encore plus bruyant. La maison tanguait, craquait, couinait et gémissait.

Et brusquement, à l’exception du plancher, de deux fauteuils horribles, de la cuisinière de fonte, de Sunset et du mort, tout fut aspiré et éparpillé en un instant dans le paysage.

Sunset s’accrocha au plancher sans cesser de gueuler tandis que le cyclone se déchainait.

 

Joe R. Lansdale, Du sang dans la sciure/Sunset and sawdust, Folio Policier

Publié dans Littérature

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C
Très joli blog, dommage que tu ne publies plus :)
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